Le typographe Paul Stiff qualifie Typography Papers, revue qu’il initie en 1995 au sein de l’université de Reading 1 dans laquelle il enseigne (département Typography and Graphic Communication), de «serie of book-length volumes».
La publication, d’abord annuelle, se libère petit à petit des contraintes de la périodicité. Elle approche la typographie à travers l’expérience de la lecture, mais tente surtout d’explorer ses limites avec les autres domaines, d’ouvrir le plus largement possible ses champs d’écriture.
«We use the word «typography» in a much broader and more generous sense than is suggested by its primary use in much of Europe: not just «printing», but rather «designing language for reading» […] we are edgily curious about the boundaries between typography and other practices and subjects 2.»
Paul Stiff explique que son initiative répond au manque d’écrits sérieux et conséquents sur la typographie: «We began Typography Papers at Reading in 1995 because we could not find english-language places wich were hospitable to writing seriously, at appropriate length, about our subject. […] we ask our authors for evidence and reasoned argument. We are unafraid of accusations of pragmatism and empiricism because there are what our subjects. We published the first volumes ourselves, in Reading 3.»
Typography Papers est une revue de recherche, aux articles exigeants, aux documents parfois inédits, aux ressources et bibliographies riches et précises. Ses contributeurs croisent les pratiques et proposent des approches variées. Il s’agit autant de praticiens (graphistes, dessinateurs de caractères), que de psychologues, philosophes, critiques, historiens, chercheurs, ou encore professeurs.
En enregistrant la recherche en typographie et en l’orchestrant au sein d’une ligne éditoriale, le périodique favorise sa documentation et sa diffusion. Typography Papers est ainsi un véritable outil documentaire. En effet, les caractères y sont présentés de manière technique, précise, au sein d’articles poussés qui ouvrent les champs d’études de la discipline.
Paul Stiff et l’équipe de l’université de Reading se chargent d’éditer les contenus de la revue, tandis que les étudiants s’occupent de les mettre en page et de préparer la maquette pour l’impression. Chaque numéro semble avoir été imprimé à petit tirage. Typography Papers est donc peu connue hors des universitaires anglophones 4. Cela semble évoluer un peu depuis 2005, depuis que la maison d’édition Hyphen Press diffuse la revue et en réimprime certains exemplaires récents. La structure valorise chaque parution sur son site Web et favorise sa diffusion auprès d’un lectorat spécialisé.
Le dernier numéro (9), paru en 2013, témoigne d’une des spécificités de Typography Papers: sa manière d’étendre la typographie à d’autres disciplines. Gerard Unger, dessinateur de caractères, y propose une étude documentée des inscriptions lapidaires romaines, traitant de l’intérêt qu’elles suscitent aujourd’hui. Eric Kindel et James Mosley s’intéressent eux à la pratique du pochoir et du normographe, au regard des écrits de Gilles des Billettes (XVIe siècle, Académie Royale des Sciences de Paris). Leur article propose le texte historique, sa traduction, une méthode de fabrication des pochoirs et l’analyse des résultats obtenus. Maurice Göldner donne à lire une enquête au sujet de la fonderie Brüder Butter, il approche le sujet de manière historique, formelle, mais aussi économique. William Berkson et Peter Enneson traitent de la notion de lisibilité grâce à la pensée de Matthew Luckiesh, sa collaboration avec Linotype, la critique qu’en font W. A. Dwiggins et Miles Tinker, et les échos de ces textes aujourd’hui. La contribution de Paul Luna revient sur l’évolution des illustrations de dictionnaires anglais. Enfin un article de Titus Nemeth raconte l’élaboration d’un caractère arabe réalisé en 1950 par Linotype avec Kamel Mrowa (responsable d’un journal d’information libanais) qu’il analyse et replace dans son contexte géopolitique.
L’accessibilité des exemplaires les plus anciens étant difficile, je n’ai pu observer la mise en page de la revue que depuis le numéro 6. Cette dernière est rigoureuse et soignée. La lecture des articles au long cours est confortable grâce à de grandes marges tournantes, une structure et une hiérarchie des contenus fixes, des images juxtaposées au texte. Tous les articles ont structure proche, commune à de nombreuses publications périodiques: un auteur, un titre, un résumé du sujet traité, un texte découpé en paragraphes aux thèmes identifiables, des notes, légendes et citations référencées et précises, une bibliographie, parfois des appendices, un index, une chronologie.
Le dernier numéro, publié en 2013, rend hommage à Paul Stiff dont la disparition en 2011 a sûrement du ralentir, compliquer le travail de l’équipe éditoriale, et rien n’indique pour l’instant que d’autres numéros paraîtront.
Typography Papers ne semble pas avoir d’équivalent francophone. Pourtant la nécessite d’un support de recherche périodique qui documente et enregistre l’écriture de la discipline apparait évidente. On peut penser à une structure telle que l’ANRT 5, qui pourrait disposer des ressources, objets de recherches, praticiens, chercheurs et collaborateurs pour éventuellement proposer une revue équivalente à Typography Papers.
1. | ↑ | L’université de Reading en Angleterre est renommée pour la qualité de ses recherches en typographie. Eric Kindel, Paul Luna, James Mosley, Gerard Unger ou encore Sue Walker, initiateurs, éditeurs et/ou contributeurs de la revue y sont professeurs. |
2. | ↑ | «Kinneir, Reading, Typography Papers», site Web d’Hyphen Press (hyphenpress.co.uk), 2005, traduit de l’italien par Antonio Perri, publication originale Progetto Grafico n°4/5 |
3. | ↑ | ibid. |
4. | ↑ | La revue est diffusée en Angleterre, essentiellement par l’université de Reading et Hyphen Press, aux États-Unis par Princeton Architectural Press |
5. | ↑ | L’Atelier National de Recherches Typographiques, est un lieu de formation (post-master) et de recherches installé à Nancy depuis 2013 |