Natalia Iguiniz Boggio, née à Lima en 1973, est photographe et graphiste. La singularité de sa pratique tient dans la singularité de ses commanditaires : les principales ONG péruviennes, pour lesquelles elle crée des affiches sur les droits de l’homme, la condition de la femme au Pérou, la santé ou encore les problèmes d’illettrisme. Dans ce pays où les difficultés sociales sont prégnantes, ses affiches portent ces engagements de manière exemplaire. Collées sur les murs de Lima, l’impact visuel est de mise pour le passant : couleurs fluo, lettres capitales parfois cernées de noir, dans une composition simple et brute. Cette forme graphique reprend l’esthétique des affiches populaires du Pérou, appelées chicha. Ce terme désigne la fusion entre les cultures andines et amazoniennes et les cultures cubaines. Ces affiches sérigraphiées voient le jour dans les années 1960 pour promouvoir la musique cumbia et chicha, en s’inspirant des couleurs vives des broderies de la région des Andes. En détournant ces codes de la culture populaire, Natalia Iguiniz cherche à transmettre des messages forts et amener le passant à s’interroger.
Affiche de 1999 : « Si tu marches dans la rue et qu’ils te traitent de chienne, ils ont raison parce que tu portes une jupe très courte et provocatrice. »
Trois mille exemplaires de cette affiche furent placardés dans la ville de Lima. Le message est bien évidement à prendre au second degré et le but est d’interpeller le public, de provoquer des réactions et de faire réfléchir sur la manière dont les femmes peuvent parfois être traitées. Cette affiche, qui n’était pas signée, est restée anonyme pendant deux semaines, rendant le message ambigu et provoquant. Cette ambiguïté a pu interroger, dans la mesure où le message jouait sur la moralité et a ainsi suscité des réactions violentes de la part des organisations féministes. Sur l’affiche, une adresse email était indiquée afin que les passants puissent s’exprimer. L’affluence des réponses a montré l’impact immense des affiches sur la population. Ce succès a donné lieu à une exposition rassemblant tous les emails reçus, parfois très violents à l’encontre des femmes, et des photographies montrant la dégradation des affiches dans la rue. Des débats entres ONG, organisations féministes et représentants du gouvernement ont également été organisés.
Cette démarche pose la question de la valeur des codes esthétiques populaires dans le graphisme. Natalia Iguiniz Boggio renoue avec la tradition populaire de la chicha, ces affiches omniprésentes qui colorent les villes, tant par leur force visuelle que par leur nombre. Une expression brute qu’elle ne méprise pas, mais qu’elle utilise avec insolence comme terrain de réflexion, pour délivrer un message fort.
Les codes visuels chicha, utilisés par Natalia Inguiniz Boggio rappellent ceux des affiches produites par l’imprimerie Colby Poster Printing Company (1948-2012) : couleurs fluorescentes et lettres capitales noires. Une exposition de 2014 à l’ÉNSBA-Lyon, menée par Brian Roettinger et Alexandre Balgiu, WE SPECIALIZE IN OUTDOOR ADVERTISING, présentant une sélection d’affiches produites par l’imprimerie californienne, dont la mission était de saisir le regard du passant et de délivrer leur message aussi rapidement et efficacement que possible. Ces affiche, dans le contexte de l’exposition, rassemblées et présentées les unes à côté des autres, ont un tout autre statut que dans leur contexte original. L’affiche, déplacée ici dans un white cube, acquiert un tout autre sens.