Muriel Cooper (1926-1994) est une graphiste américaine préoccupée, durant une grande partie de sa carrière, par les questionnements qu’induisaient l’émergence de nouvelles techniques et la manière dont elle pourrait interroger ces médias dynamiques et/ou statiques, particulièrement l’ordinateur.
«She was, as she recalled, «always trying to push some more spatial and dynamic issues into a recalcitrant medium» namely print 1.»
Le travail de Muriel Cooper est indissociable du MIT (Massachusetts Institute of Technology). La graphiste en réalisa le célèbre logo en 1963 et mit en page la plupart des nombreux livres édités par le MIT Press 2 dont elle fut la directrice artistique. Son goût pour l’expérimentation et les formes dynamiques est déjà visible en 1969 quand elle décide de mettre en scène sous différentes formes The Bauhaus, livre de Hans Wingler dont elle a réalisé la maquette. Elle anime l’objet «afin de pouvoir le parcourir en moins d’une minute» 3 dans un court film, mais réalise aussi une mosaïque de double-pages qu’elle installe dans une affiche, cette fois comme «une présentation spatiale en simultanée plutôt que la présentation temporelle et linéaire du film» 4.
Muriel Cooper n’innove pas qu’à travers sa pratique du graphisme mais aussi dans sa façon d’enseigner. Professeur à la MIT School of Architecture, elle met en place un cours intitulé Messages and Means (qu’elle mène avec Ron MacNeil 5). Il s’agit là de présenter aux étudiant(e)s le design graphique et la communication, en leur donnant accès à des outils et méthodes de reproduction au sein même de la recherche. Muriel Cooper y témoigne, entre autres, de ses préoccupations principales: son intérêt pour les mécanismes de production, et pour le rapprochement, autant que possible, du processus de fabrication et de celui de la production.
Elle fonde ensuite (en 1976 et toujours avec Ron MacNeil) le Visible Language Workshop (repris plus tard par John Maeda sous le nom de Physical Language Workshop 6). Elle y développe une idée particulière de la pédagogie, qui invite les étudiants (par exemple John Maeda ou Lisa Stausfeld) à véritablement penser leur projets par eux même. Elle n’est pas programmatrice mais exprime ses idées, visions et questionnements à travers les réalisations des participants qu’elle suit, toujours autour des relations entre design graphique et nouvelles technologies.
Computer Lib, Theodor Nelson, page 3 : « FANDOM With this book I am no longer calling myself a computer professional. I’m a computer fan, and I’m out to make you one. (All computer professionals were fans once, but people get crabbler as they get older, and more professional.) […] The computer fan is someone who appreciates the options, fun, excitement, and fiendish fascination of cimputers. Not only is the computer fun in itself, like electric trains; but also extends to you a wide variety of possible personal uses. (In case you don’t know it, the price of cimputers and using them is going down as fast as every other price is going up. So in the next few decades we may be reduced to eating soybeans and carrots, but we’ll certainly have computers.) Somehow the idea is abroad that computer activities are uncreative, as compared, say, with rotating clay against your fingers until it becomes a pot. This is categorically false. Computers involve imagination and creation at the highest level. Computers are an inolvement you can really get into, regardless of your trip or your karma. They are toys, they are tools, they are glorious abstractions, computers are for you. If you are interested in democracy and its future, you’d better understand computers. And if you are concerned about power and the way it is being used, and aren’t we all right now, the same thing goes.»
Dans le cadre de cet atelier souple et pluridisciplinaire, professeurs et étudiant(e)s vont réfléchir, aux nouvelles conditions de l’information, de sa diffusion, aux notions de transparence, d’adaptabilité, ou de flou. Par exemple en manipulant les couches d’informations, en imaginant que la couleur d’un caractère puisse s’adapter à celle de son arrière plan pour faciliter la lisibilité, ou encore en imaginant des champs d’informations qui deviennent plus lisibles quand on s’en approche afin de les envisager avec une vision globale. L’atelier 7, en s’attelant aux domaines de l’imprimerie, de la programmation, du design des médias interactifs, ou de l’exploration 3D cherchera, par exemple : – à élaborer de nombreuses affiches – à construire des imprimantes pour très grands formats qui pourraient rapidement produire de grands panneaux imprimés en haute résolution et en couleurs – à travailler à la conception graphique d’un nouvel affichage du texte spécifique à l’écran de l’ordinateur – à concevoir un outil qui mêlerait typographie et son afin de modifier un caractère (forme, couleur, taille, translucidité) selon un son et sa durée – ou encore à développer un caractère aux attributs ajustables (gravité, rebonds, diffusion de la couleur)
On retrouve bien dans ces projets l’intérêt de Muriel Cooper pour l’animation et le mouvement.
Computer Lib, Theodor Nelson, page 10: « Forget what you’ve ever heard or imagined about computers. Just consider this : The computer is the most general machine man as ever developed. Indeed, it should be called the All-Purpose Machine, but isn’t, for reasons of historical accident (see nearby). Computers can control, and receive information from, virtually any other machine. The computer is not like a bomb or a gun, which can only destroy, but more like a typewriter, wholly non-committal between good and bad in its nature. The scope of what computers can do is breath-taking. »
Un de leurs projets le plus connu, Information Landscape (1994), est une interface expérimentale et radicalement nouvelle pour le texte, qui va proposer −plutôt que des couches opaques d’informations− des graphiques tri-dimensionels où l’utilisateur peut naviguer, voler dans un paysage de données. Cet environnement immersif, non linéaire, multi-hierarchisé, est un outil de communication et de compréhension des complexes bases de données, qui tente, grâce à l’outil informatique, de repenser la représentation visuelle de l’information. Ce que ne cessera de faire Muriel Cooper, au fil de ces projets et réflexions, en valorisant un design de flux, de filtres et de processus, soumis à une grande exigence visuelle.
Computer Lib, Theodor Nelson, page 10: «Many ordinary people find computers intuitively obvious and understandable; only the complications elude them. Perhaps these intuitively helpful definitions may help your intuition as well. 1. Think of the computer as a WIND-UP CROSSWORD PUZZLE. 2. A COMPUTER IS A DEVICE FOR TWIDDLING INFORMATION. (So, what kinds of information are there ? And what are the twiddling options ? These matters are what the computer field consists of.) 3. A computer is a completely general device, whose method of operation may be changed, for handling symbols in any specific way.»
Muriel Cooper envisage l’ordinateur comme une grande ressources de possibilités, en gardant toujours en tête l’intérêt du lecteur, de l’utilisateur, il est crucial pour elle que l’information soit utilisable. Selon elle, l’informatique ouvre un nouvel environnement, plus profond, offrant plus de possibilités d’orientations, dans lequel l’information peut être diffusée, et la temporalité des contenus maîtrisée, plutôt par l’utilisateur, que le designer.
Dream Machines, Theodor Nelson, page 2: «My special concern, all too lightly framed here, is the use of computers to help people write, think and show […] But we must create our brave new worlds with art, zest, intelligence, and the highest possible ideals. […] «DREAMS Technology is an expression of man’s dreams. if man did not indulge his fantasies, his thoughts along would inhibit the development of technology itself. Ancient visionaries spoke of distant times and places, where men flew around and about, and some could see each other at great distance. The technological realities of today are already obsolete and the future of technology is bound only by the limits of our dreams. Modern communications media and in particular electronic media are outgrowths and extensions of those senses wich have become dominant in our social development. 8»
1. | ↑ | Janet Abrams, ID Magazine, 1994 |
2. | ↑ | Maison d’édition universitaire attachée au MIT |
3. | ↑ | Robert Wiesenberger, dont la citation apparait dans l’article de Matthew Shen Goodman, «This Stands As A Sketch For The Future: Muriel Cooper’s Messages and Means», publié le 26 mars 2014 dans la revue Art in America |
4. | ↑ | ibid. |
5. | ↑ | Physicien et photographe, co-fondateur du Visible Language Workshop |
6. | ↑ | The Physical Language Workshop est un groupe de recherches mené par John Maeda et Henry Holtzman de 2003 à 2008 au MIT Media Laboratory. |
7. | ↑ | Mêlé au MIT Media Lab, qui regroupe en 1985 le Visible Language Workshop, le MIT Architectural Machine Group et le Center for Advanced Visual Studies. Il s’agit d’un lieu annexe, qui tente de développer des interfaces pour des logiciels, de créer des outils et des systèmes qui permettront un traitement rapide de l’information. |
8. | ↑ | How Wachspress, «Hyper Reality», © Auditac Ltd. 1973 |