Quelques années seulement après sa création en Europe, la photographie fait sont apparition sur le continent africain. D’abord pratiquée par des européens pendant la période coloniale, elle offre au spectateur occidental une vision subjective et bien souvent voyeuriste des peuples à civiliser. Ces photographes, dont l’objectif est de satisfaire la curiosité et les rêves d’exotisme d’une Europe en pleine expansion, sont fréquemment accompagnés d’apprentis locaux. Ce sont ces derniers qui ouvriront, grâce à un apprentissage rapide des techniques photographiques, leurs propres studios ou reprendront ceux de leurs mentors. La vitesse à laquelle s’est opéré cet apprentissage révèle à elle seule un besoin d’offrir un regard nouveau sur l’Afrique, même si une bonne partie des précurseurs de la photographie de ce continent resteront à jamais anonymes. Bien que principalement constitué de notables et de quelques riches métissés, le public africain s’empare, dès le début du XXe siècle, d’une mode présente dans les grands centres d’échanges tels que Saint-Louis (Sénégal) ou Cape Town (Afrique du Sud), consistant à aller se faire tirer le portrait. Influencée à ses débuts par les canons esthétiques venus d’Europe, la photographie de l’Afrique par l’Afrique se distingue grâce à un aspect crucial : le rapport entre photographe et modèle. Unis par une histoire et des destins similaires, ils sont mis sur un pied d’égalité. Il n’est alors plus question d’inféodation, de soumission, d’esclavage, de mépris, de condescendance ni de paternalisme. L’incompréhension, la colère contenue, le défi laisse désormais place à la sérénité, la complicité, la curiosité et un peu de bonne humeur, comme en atteste une photographie de Daniel Attoumo Amichia, datée de 1950, illustrant une réunion familiale dans un jardin.
Après cette brêve introduction de la photographie africaine, venons en à notre sujet. Né à Saint-Louis en 1908, Mama Casset est, avec son aîné Meissa Gaye, l’un des précurseurs de la photographie au Sénégal. Dès l’âge de huit ans, il apprend la photographie aux côtés de François Oscar Lataque à Dakar. Embauché au Comptoir Photographique de l’A.O.F (Afrique Occidentale Française) à la fin de ses études primaires, il intègre très vite l’Armée de l’Air Française. Pour elle, il réalise un bon nombre de photographie aériennes. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale s’achève, il ouvre son studio privé, « African Photo », qui devient le lieu à la mode de la bourgeoisie, dans la Médina de Dakar.
Casset décrit son travail comme artistique, avec pour muse sa seconde épouse. Ses photographies inspireront d’ailleurs plusieurs peintres « sous verre », parmi lesquels nous pouvons citer Gora Mbengue, Babacar Lo, Alexis Ngom. L’esthétique mise en place par Casset fera école : peu de décors, une mise en scène structurée des personnages, un cadre serré, des poses récurrentes, la mise en avant du corps et des vêtements. Une des poses, très appréciées des dames de l’époque, consiste à surélever une jambe à l’aide d’un tabouret, permettant ainsi au modèle de poser son avant-bras sur sa cuisse, tout cela pour révéler la beauté et la richesse du tissu porté. L’originalité de ce tissu imprimé ou tissé est d’une grande importance sur le continent, puisqu’il détermine le statut social de celle qui le porte. Les motifs et la façon de les porter répondent à un langage codé déchiffrable par tous, qu’il s’agisse d’une marque de respect ou de l’appartenance à un clan.
Dans les années 1980, Mama Casset, atteint de cécité, cesse toute activité. Quelques années plus tard, son studio est entièrement détruit par un incendie ; pris de chagrin, il décède l’année suivante. On connaît les photographies de Casset aujourd’hui grâce à la maison d’édition Revue Noire et surtout aux recherches du photographe Bouna Medoune Seye, qui sort son œuvre de l’oubli en réunissant ses photographies, majoritairement des portraits de femmes en tenue d’apparât, auprès des familles dakaroises.